La 50e édition du FIBD sera-t-elle gâchée par « l’affaire Bastien Vivès » qui a occupé une large partie des médias en décembre ? La réponse ne sera connue que fin janvier, une fois le Festival terminé. Mais vu que le dessinateur a été traîné devant les tribunaux, c’est une actualité qui va durer. Dans l’attente, je reprends ci-dessous mes quatre commentaires de quatre articles publiés sur le site actuabd.
Le
FIBD annule la carte blanche à Bastien Vivès
14 décembre 13:56
Source : https://www.actuabd.com/Le-FIBD-annule-la-carte-blanche-a-Bastien-Vives
Nota : Il est fait référence ci-dessous aux deux pétitions réclamant l’annulation de l’exposition Vivès émanant d’Arnaud Gallais (BeBraveFrance) et d’Etudiant.e.s EN LUTTE (issus d’une école d’art angoumoisine).
Je
n’ai pas lu (je n’ai pas eu envie de lire) Les
Melons de la colère
et Petit
Paul.
Je ne me permettrai donc pas d’émettre un jugement sur des œuvres
que je ne connais pas. Mais à la lecture du texte des deux pétitions
et des réactions indignées qui ont suivi, je suis saisi d’un
doute. Est-on vraiment certain à 100 % que ces livres
promeuvent la pédophilie ? Est-on vraiment certain à 100 %
que les déclarations de Vivès sur l’inceste relèvent du 1er
degré et ne soient pas autre chose qu’une (idiote)
provocation ?
D’ailleurs, la pédophilie et l’inceste
sont-ils vraiment le sujet de cette polémique ?
Dans l’une
des pétitions, il est écrit : « Son
travail véhicule des propos problématiques et une image dégradante
des femmes. »
Je comprends que les livres cités (dont Le
Chemisier)
ne sont que des exemples d’un travail qui est à condamner dans son
ensemble.
Devant le déferlement de haine, quelques réactions
appelant à la mesure, et plus encore, à la raison sont inaudibles.
Par exemple, Benoît Mouchart : « Il
y a quand même une confusion navrante entre ce que pense un
personnage, un narrateur et un auteur… ».
Un éditeur pas particulièrement connu pour sa défense de la
pédophilie et de l’inceste, ni pour son anti-féminisme.
Il
est sidérant que ce soient des étudiants d’art qui soient à
l’origine de l’une des deux pétitions. Et tout aussi sidérant
qu’ils soient soutenus par des professionnels de bande dessinée.
Contrairement à la majorité hurlante et haineuse qui n’a jamais
eu la moindre éducation à l’image, ne devraient-ils pas être les
premiers à défendre la liberté d’expression, les premiers à
prendre de la distance par rapport à des œuvres de l’esprit ?
Dans
un premier temps, la direction du Festival d‘Angoulême a confirmé
la tenue de l’exposition consacrée à Bastien Vivès. Je n’y ai
pas cru une seule seconde. Il était inéluctable qu’elle capitule
devant la meute, comme avant elle La Cinémathèque Française, en
renonçant à une rétrospective Jean-Claude Brisseau.
Les
dirigeants de la 50e édition pouvaient-ils avoir le même courage
que ceux de la toute première, au moment où l’on tentait
d’interdire la vente d’un fanzine publiant un dessin de
fellation ? Même si Francis Groux, co-fondateur du Festival
d’Angoulême, raconte l’épisode dans Au
Coin de ma mémoire
-collection Mémoire Vive, éditions PLG- de manière bonhomme, dans
le contexte de l’époque, les derniers mois de la France
Pompidolienne de ce début d’année 1974, la ferme position des
premiers responsables du Festival exigeait un certain
courage.
L’appel au lynchage n’est pas une invention
nouvelle. Revoir Fury
de Fritz Lang. Mais il est vrai que les réseaux sociaux peuvent
donner à la haine une ampleur inédite et engendrer une spirale de
violence inouïe qui n’est pas toujours que verbale. Dans un pays
où l’on peut tuer des dessinateurs de presse, et trouver de
multiples voix, non pas pour justifier les assassinats (encore
que…) mais pour fournir des circonstances atténuantes aux
assassins (bien sûr toujours au nom de justes causes, hier défense
des exclus et des précaires, aujourd’hui lutte contre le sexisme,
l’inceste, la pédophilie), je peux comprendre – sans l’approuver
– que l’on préfère la prudence, fut-ce au prix d’un renoncement
aux plus hautes valeurs.
Le cas Vivès
15 décembre 11:13
Source : https://www.actuabd.com/Le-cas-Vives
Je
n’ai pas été sans remarquer que, contrairement à ses habitudes,
le site actuabd
a mis plusieurs jours à réagir à une puissante polémique touchant
le monde de la bande dessinée, avec une brève datée seulement du
14/12 signée Kelian Nguyen. (Il s’agit bien d’une remarque, pas
d’un reproche, tant il me paraît nécessaire de prendre le temps
de la réflexion avant de sauter sur son clavier.) La contribution du
15/12 de Marlene Agius livre un plus grand nombre d’éléments
permettant l’ouverture d’un débat tout en se gardant bien de
prendre le risque d’afficher une réelle opinion.
M’étant
déjà exprimé suite à la brève précitée, je me contenterai ici
d’ajouter un élément dont il n’a pas encore été fait
mention : la pétition lancée par les étudiants ne demande pas
seulement « la
suppression de cette exposition »
mais « à
la place, la mise à l’honneur d’un.e auteur.ice dont la création
ne soit ni violente ni discriminatoire ».
Sous
couvert de défense de justes causes, la présente revendication
s’inscrit dans une démarche qui vise à bannir tout ce qui n’est
pas estampillé moralement acceptable et tout ce qui paraît
« offensant ». Les opérations d’épuration en cours
sont de plus en plus nombreuses. À l’activisme woke, s’ajoutent
en effet toutes les opérations menées par l’Amérique
conservatrice pour expurger les programmes scolaires et les
bibliothèques d’éléments jugés douteux et décadents, en
parfaite harmonie avec les lois récentes de la Russie poutinienne
visant ses librairies. Si tous les censeurs ne partagent pas la même
morale, leurs actions vont dans le même sens : « effacer »
tout ce qui paraît problématique. Au point que s’ils devaient
tous aboutir conjointement à leurs fins, il ne resterait à peu près
rien de l’histoire de l’art et de la littérature.
Pour en
rester à la bande dessinée, si l’absence de violence devait
devenir un élément déterminant, il faudrait alors se résoudre à
faire le deuil de bien des œuvres (par exemple, celles de Frank
Miller, Hermann, Bernett, mais aussi celles de Carlos Gimenez ou de
Fabrice Neaud qui contiennent parfois des pages éprouvantes).
Le MeTooBD est en marche…
20 décembre 15:50
Source : https://www.actuabd.com/Le-MeTooBD-est-en-marche
Nota : Il est fait référence ci-dessous à un compte Instagram #MeTooBD à l’origine d’une tribune signée par « 400 artistes » et à l’exposition ELLE RÉSISTE, ELLES RÉSISTENT, découlant de l’attribution du Prix René Goscinny du meilleur scénario 2022, attribué à Jean-David Morvan et Madeleine Riffaud pour Madeleine, Résistante : la rose dégoupillée, premier tome d’une série dessinée par Dominique Bertail.
L’une
des formulations des journalistes d’actuabd est assez juste :
« 400
artistes gravitant autour[c’est
moi qui souligne] du
monde de la bande dessinée ».
J’espère qu’elle le restera.
Si quelques signataires sont
loin d’être inconnus, ils sont en effet totalement minoritaires en
nombre. J’espère qu’ils le resteront.
Car, pour rebondir
sur la remarque pertinente de Dominique Petitfaux, il n’y a pas que
les « grands
noms »
qui sont absents de la liste : ceux dont la notoriété est
moindre ne sont pas beaucoup plus présents. Il faudra donc, dans les
semaines à venir (et même les mois à venir, suite à la plainte
qui vient d’être déposée contre Vivès) se méfier des médias
qui vont nous abreuver de la prétendue grande fracture qui scinde le
monde de la bande dessinée en deux. Sans anticiper sur l’avenir,
et un possible afflux de nouveaux signataires, il est réconfortant
de constater qu’aucune des dessinatrices que j’admire pour leur
œuvre (et pas pour leur posture ou leurs messages postés sur les
réseaux a-sociaux) n’a signé le texte. Preuve que le combat
féminisme dont témoignent souvent leurs livres n’a pas grand
rapport avec la vague de moralisme douteux qui a éclaté. Car bien
que Julie Doucet soit qualifiée dans la tribune – à juste titre –
d’« autrice
majeure »,
je serai bien curieux de connaître la réaction de certains
signataires (et de ceux des deux pétitions appelant à la censure de
l’exposition Vivès), face à des planches extraites de Maxiplotte,
dans lesquelles le prénom « Julie » aurait été
remplacé par celui de « Jules ».
Quant aux
« personnes
minorisées »
dont il est question, cela inclut-il les dessinateurs néo-nazis (je
suppose qu’il doit y en avoir) ? Auquel cas, faudra-t-il se
battre pour qu’ils obtiennent un lieu d’exposition, pour ne pas
laisser le champ libre aux seuls artistes (type
Riffaud-Morvand-Bertail, par exemple) choisis par le Festival ?
Ce serait un bel exemple de combat pour la parité et le respect de
TOUTES les minorités.
(Si vous vous sentez offensé ou
discriminé par l’amalgame scandaleux opéré dans le dernier
paragraphe, ou par l’un des termes de ce courriel, n’oubliez pas
de créer une pétition contre son auteur sur le site change.org.)
TRIBUNE LIBRE A… DIDIER PASAMONIK : Angoulême 2023, le rendez-vous de la colère
30 décembre 17:50
Source : https://www.actuabd.com/DIDIER-PASAMONIK-Angouleme-2023-le-rendez-vous-de-la-colere#forum78348
« Il est évident que les œuvres de Vivès ne sont pas plus une apologie de la pédophilie qu’un Christ en croix est une promotion de la torture. »
C’est heureux de lire (enfin !) un rédacteur d’actuabd qui prend position. Hélas, l’évidence n’est pas certaine pour tout le monde, et c’est bien le problème, surtout pour les censeurs qui n’ont jamais ouvert un livre de Bastien Vivès (ce qui constitue moins une circonstance atténuante qu’un facteur aggravant).
Au risque de me répéter, le plus grave dans l’affaire n’est pas qu’une meute mue par sa seule émotivité, et oublieuse de toute rationalité, s’échauffe sur les réseaux a-sociaux mais que des personnes instruites, ayant une connaissance au moins partielle de l’histoire de l’art et une culture de l’image, ne choisissent pas le camp de défenseurs de la liberté d’expression. Je comprends bien que le terme de « liberté d’expression » ayant plus d’une fois dans cette polémique été assimilé à « liberté de défendre l’inceste et la pédophilie », la position exige un peu de courage. Mais est-ce vraiment un effort et un risque démesurés ? Et, en effet, le silence des 2 directeurs artistique du FIBD (qui en compte 3) est assourdissant.
Si l’on peut supposer que c’est surtout par malentendu, inculture graphique et réflexe pavlovien que la pétition initiée par Arnaud Gallais a récolté un nombre aussi élevé de signataires, c’est bien de liberté d’expression et le désir de censure qui sont en jeu dans la pétition lancée par des étudiants d’une école d’art d’Angoulême, réclamant l’interdiction de l’exposition Vivès et la mise en avant d’artiste dont la création soit sans violence. Non content de l’avoir signée, l’illustratrice et enseignante Joanna Lorho en rajoute une couche dans le Libération du 23 décembre en expliquant ce que doit être une œuvre : « quand on construit un récit, on construit un monde enviable ». Je suis à peine soulagé qu’elle semble tempérer son désir de normativité dans la même phrase, en s’octroyant la permission « d’explorer des hypothèses, même rudes, même déplaisantes ».
(D’autres passages de l’entretien pourraient nous convaincre qu’elle est pourtant une grande libérale, quand elle explique n’interdire à son jeune fils aucun des livres qu’il pourrait trouver à la maison. Dommage quand même qu’elle ajoute : « Je me demande ce que ça ferait à un enfant de voir les scènes pédophiles de Vivès ». Soit un argument usé, mais efficace puisqu’ajouté dans une célèbre loi de 1949, qui a beaucoup servi aux censeurs au XXe siècle pour interdire certains journaux et livres aux adultes au prétexte qu’ils pourraient tomber sous le regard des enfants. Sur ce point, je me permets un rappel doublé d’un conseil : personne n’est obligé d’acheter des livres et des journaux qui vous offensent, et si dans une vie antérieure, avant d’avoir été illuminé par la grâce de la conscientisation, vous avez acquis des livres de Vivès ou l’Histoire d’O de Crepax, rien ne vous interdit de les placer tout en haut de votre bibliothèque, là où ils seront inaccessibles à des enfants.
Mais le propos le plus inattendu de cet entretien, de la part d’une personne qui, je le répète, a signé une pétition exigeant l’interdiction de l’exposition Vivès est le suivant : « Le fait que l’expo ait été annulée, les plaintes déposées, ça ne suscite en moi aucune émotion positive, c’est pas ça qui fait avancer les choses. J’ai discuté avec beaucoup d’autrices ces derniers jours, personne n’était pour la censure (…) ».)
Idéalement, les organisateurs du FIBD seraient bien inspirés d’organiser un débat à propos de « l’affaire Vivès », et surtout des différents aspects qui ont été soulevés par les uns et les autres. Encore faudrait-il trouver des intervenants qui acceptent une confrontation argumentée et donc qui ne se résume pas à des échanges d’invectives. Il doit être possible de recruter auprès des membres du Collectif des Créatrices de BD contre le sexisme (qui « ne souhaitait pas l’annulation de l’évènement ») . Ce sera plus difficile de convier des personnes comme la dessinatrice Emma Clit qui s’est d’avance déclarée opposée à un tel débat (Le Média, 15/12/2022) sans avoir conscience de l’énormité de sa justification : « on ne peut débattre avec des gens qui sont à l’opposé de votre champ politique ». Je pensais que les insultes proférées contre elle par Vivès sur Internet avaient atteint un degré d’imbécilité inégalable. Il semble que ce ne soit pas le cas.
Le combat pour la parité est plus que jamais d’actualité, sur le plan social, économique, domestique. Il n’y a guère que sur le plan de l’idiotie qu’il vient d’être gagné.
Magnifique exposition consacrée à Etienne Robial au Musée des arts décoratifs de Paris jusqu’au 11 juin 2023.
Elle aborde les activités extra-bande dessinée du sus-nommé, et complète une précédente exposition, également fort réussie, présentée il y a quelques années à Angoulême.
Je découvre avec retard dans le n°5 de Bande passante, daté du premier semestre 2022, un entretien avec Fabrice Neaud à propos de la reparution des volumes de son Journal, titre que son auteur trouve aujourd’hui mauvais, préférant désormais l’appellation d’ « Esthétique des brutes » (qui figure en effet sur la couverture des livres mais en tout petit). L’entretien est mené par son éditeur (« editor »), David Chauvel, sans que cela soit mentionné. Mais comme le support est un prospectus périodique à caractère ouvertement publicitaire édité par les éditions Delcourt, cela ne pose pas de problème déontologique. Le contenu étant très bien, il serait sot de se priver de sa lecture.
On peut le retrouver sur le site de l’éditeur (« publisher ») :
https://www.editions-delcourt.fr/actualites/journal-interview-de-fabrice-neaud