Très belle cinquantième édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême résumée en quelques commentaires, dessins et photos.
L’exposition L’Attaque des Titans, de l’ombre à la lumière, consacrée au best-seller japonais d’Isayama, devait constituer l’événement principal de cette 50e édition. Et peut-être l’a-t-elle été. Mais je ne l’ai pas vue.
Le Musée du papier est resté fermé de manière très inhabituelle. Il devait présenter une carte blanche à Bastien Vivès qui a été annulée à la demande de nombreux pétitionnaires. La direction du Festival a expliqué son renoncement suite aux pressions et même à des menaces. Sans balayer d’un revers de manche les justifications du délégué général Franck Bondoux, dont celle du refus d’un festival qu’il aurait fallu « bunkériser » pour assurer la sécurité et l’ordre public, cette capitulation devant les nouveaux censeurs est regrettable. La défense de la liberté d’expression a été sacrifiée au profit d’une tranquillité pépère, afin de ne pas gâcher la fête.
La direction du festival n’a pas non plus daigné ne serait-ce que répondre à la proposition d’une exposition alternative, No Offense, qui s’engageait à n’offenser aucune catégorie de personnes (avec une intention bien évidemment ironique). À défaut, il existe un petit catalogue (format A6), vendu pendant le festival sur le stand PLG, et toujours disponible dans la boutique de ce site.
La liberté d’expression a tout de même fait l’objet de deux tables rondes organisée en collaboration avec l’hebdomadaire Le Point.
La première, animée par Christophe Ono-dit-Biot, a réuni le premier jour la Ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, la dessinatrice marocaine Zainab Fasiki, le dessinateur iranien Mana Neyestani et le dessinateur turc Ersin Karabulut.
La seconde qui devait aborder « L’Affaire Vivès », animée par Romain Brethes, rassemblait le lendemain Franck Bondoux, Coco (dessinatrice de Charlie Hebdo et de Libération) et Bernard Joubert (« le » spécialiste français de la censure). Son sujet a finalement été élargi pour une bonne raison : parmi les dizaines de personnes anti-Vivès sollicitées, dont probablement quelques personnes ayant demandé l’interdiction de l’exposition, aucune n’a accepté de venir débattre, ce qui a entraîné la défection de Benoît Peeters au motif que la discussion n’aurait plus rien de contradictoire. Conclusion : les censeurs et autres moralisateurs dont on pouvait déjà douter de l’intelligence ne brillent pas non plus par leur courage. J’ajoute toutefois que, lors des questions de la salle, des opposants à Vivès s’exprimèrent (avec modération).
Par ailleurs, quelques anti-Vivès participèrent à un troisième débat, qui eut lieu au festival off, mais dont je n’ai eu connaissance qu’après qu’il se fut tenu. (J’ignore ce qu’il s’est dit.)
Outre le catalogue No Offense, circulait Les Raisons de la colère, en référence au nom de la tribune anti-Vivès publiée par Médiapart en décembre dernier. Ce fascicule format 8,7 X 12,5 cm édité par l’éditeur alternatif belge La 5e Couche reprend des dessins qu’il feint d’incriminer, mis en vis-à-vis de slogans revendicatifs. Bien évidemment, figurent dans cette sélection, des images produites par quelques-uns des signataires de cet appel à une moralisation des « futures sélections et programmations du festival ». Si les critères retenus par cette nouvelle ligue de vertu sont les mêmes que ceux qui ont abouti, dans la pétition publiée par change.org, à juger Le Chemisier de Bastien Vivès comme « emblématique d’une hyper-sexualisation et une misogynie inacceptables aujourd’hui », il y a du souci à se faire. Sachant qu’il sera difficile d’en débattre puisque les tribunitiens de Médiapart ont disqualifié d’avance leurs futurs contradicteurs, explicitement qualifiés de défenseurs « autoproclamés » de la liberté d’expression et de faux martyrs.
Les Raisons de la colère est disponible sur le site de La 5e Couche mais sans mention de prix. Peut-être est-il offert pour tout achat d’un autre livre ?
Vous avez aimé l’affaire Vivès ? Vous allez adorer l’affaire Sattouf. J’apprends par le site ActuaLitté qu’une illustratrice déplorait en juillet qu’on « ne parle pas assez de la bd Retour au collège » de Riad Sattouf et de quelques images « problématiques » comme on dit maintenant. Bien évidemment, le sujet refait surface aujourd’hui avec le ramassis de propos imbéciles véhiculés par Twitter, du style : « C’est si difficile que ça de ne pas fantasmer sur des enfants ? De juste pas être pédophile en fait ? Ça me semble être plutôt une évidence ? », « Puis c’est réellement choquant squi as dessiné, en plus d’être rabaissant pour la femme c’est vrm immonde de dessiner des jeunes filles en sous vêtements reluquer par un prof. Il est complètement malade », « Le jury du festival d’Angoulême fait peur, les laissez pas approcher des écoles et collèges. », « On est juste dans un pays de pédophilie c’est grave... », etc.
Au-delà des cas Vivès et Sattouf, l’air du temps est clairement de faire pression sur l’ensemble de la chaîne du livre, du créateur jusqu’au lecteur, pour poser des limites à ce qui doit être imaginé, produit, diffusé, lu, en ne manquant pas de criminaliser les récalcitrants. Et d’apurer le passé, au risque, pardon de me répéter, de faire disparaître la quasi-totalité de deux siècles de bandes dessinées.
« On a ce livre [Retour au collège] au cdi, écrit une lectrice sur Twitter, dès j’ai vu cette page je me suis demandée si je devrais le dire la bibliothécaire mais j’ai rien fait je pensais que c’était normal c’est toujours pareil dans les livres qui parlent du collége sex couples gngngnng je lui en parlerais demain ».
Sur le site d’ActuaLitté, une autre intervenante se réjouit qu’« à force de dénoncer, (…) les éditeurs éviteront peut-être de rééditer ces âneries, les libraires feront qui sait plus attention à ce qu’ils mettent dans leurs rayonnages (…). »
Censeurs, à vos claviers pour votre prochaine pétition pour réclamer l’interdiction de l’exposition Sattouf déjà prévue pour la 51e édition. Et déjà j’imagine la suivante, ayant pour objet de faire retirer à Gotlib son Grand Prix de la ville d’Angoulême.
J’ignore quels ont été les chiffres de fréquentation de cette 50e édition, ce qui n’est pas très important car la communication annuelle du nombre d’entrées a toujours été douteuse. Il suffirait pourtant de publier le nombre de billets vendus pour en avoir une idée, même si ne seraient pas pris en compte les visiteurs n’accédant qu’aux expositions, débats, et autres événements entièrement gratuits. La longueur des queues cette année était cependant un indice d’une très forte fréquentation. Celle de l’exposition Itô de l’Espace Franquin faisait presque le tour du pâté de maisons !
À titre d’exemple de lieux accessibles gratuitement, il y avait celui situé en plein centre-ville qui accueillait deux petites expositions de bande dessinée du Québec, en présence de quelques-uns de leurs auteurs qui dédicaçaient leurs livres. Mais il est vrai que ces propositions accessibles gratuitement, particulièrement nombreuses et variées, ne peuvent être comparées à celles du programme officiel qui bénéficient de moyens matériels importants.
Aucune des expositions « officielles » ne m’a déçu, y compris celles qui pouvaient sembler peu audacieuses dans leur sujet, qu’elles bénéficient d’une scénographie soignée ou qu’elles se contentent d’un accrochage d’œuvres, que les originaux soient proches des reproductions dans les livres ou qu’ils s’en éloignent (repentirs, différence de couleurs), que les travaux montrés soient connus ou non. (Nota : j’ai loupé, faute de temps, Marguerite Abouet, Itô, Madeleine Riffaud et d’autres encore.)
L’aspect monumental de l’œuvre de Philippe Druillet était mis en avant dansl’exposition Les 6 Voyages de Philippe Druillet (titre en référence à l’un de ses livres) mais également dans un montage audiovisuel particulièrement remarqué, spectaculaire et réussi, projetant des images géantes sur les murs et le plafond d’une ancienne chapelle, avec un fond musical adapté.
A l’hôtel Saint-Simon(lieu où l’on a l’assurance, chaque année sans exception, de voir les originaux d’un artiste passionnant), Julie Doucet, toujours de grande classe, hormis une reproduction emblématique très grand format, présentait plutôt des dessins et planches de la lauréate du Grand Prix de l’année précédente, de format assez petit (extraits en grande partie du très beau MaxiPlotte édité par L’Association). Mais l’on pouvait aussi découvrir une œuvre de jeunesse (anecdotique) et des travaux plus récents et méconnus
Autre gage de belle découverte, l’exposition d’un grand mangaka réalisée par le toujours très pédagogique Xavier Guilbert qui avait choisi cette année de mettre en valeur au musée de la ville Ryôichi Ikegami (Crying Freeman). Exposition parfaite si l’on excepte quelques légendes placées un peu bas.
Exposition Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son, au musée de la Cité de la BD. Sujet convenu mais très correctement traité.
Moins variée était la très fournie exposition consacrée à quelques pas de là à Fabcaro. Exemple parfait d’un auteur dont les originaux sont très proches de leurs reproductions dans les albums. Malgré le succès de certains de ses livres, ce sera pourtant l’occasion pour certains visiteurs de découvrir cet auteur souvent hilarant. Pour les autres, la déambulation ne sera pas vaine, à moins qu’ils aient lu l’ensemble de ses nombreux livres. Même dans ce cas, ils auront toujours loisir de s’esclaffer au gré de leur déambulation. À signaler deux séries de planches d’hommage réalisées par Émilie Gleason et Gilles Rochier.
Exposition Couleurs ! au Vaisseau Moebius. Grande variété à la fois dans le choix des auteurs et dans les thématiques retenues. Et bel hommage à ces travailleurs de l’ombre qui travaillent sur la lumière.
Avec la possibilité de voir des originaux de très près, parfois différents de leur reproduction dans des livres.
Lors de la présentation de cette édition fin novembre à Paris, Franck Bondoux avait clairement insisté sur le fait que le regard ne serait pas tourné vers le passé. De fait, en dehors d’un livre édité chez PLG, seules deux expositions célébraient ce 50e anniversaire. Le musée de la Cité de la BD proposait 1973-2023 : 50 ans, 50 œuvres, 50 albums, permettant aux moins âgés de découvrir des artistes et des albums primés qui leur sont inconnus, et à tous d’admirer quelques beaux originaux souvent issus des collections du musée. Le public pouvait dans le même temps poser quelques questions aux personnes animant un atelier d’estampes et travaillant en direct. L’exposition et l’animation étaient réalisées en partenariat avec MEL [Michel-Edouard Leclerc] Publisher.
50 Angoulême, 50 regards était présenté à l’Espace Franquin. Les cinquante artistes de différents continents ont produit des dessins et des planches d’une très grande variété, et dans la plupart des cas particulièrement réussis. Je me garderai bien de critiquer les choix des personnes sollicitées, vu le nombre de candidats possibles. Mais au vu des résultats, je ne peux que me féliciter que l’on retint à la fois un Denis Bajram (splendide) et un John Porcellino travaillant dans un registre beaucoup moins spectaculaire et plus minimaliste. Sans doute, les auteurs « alternatifs » étaient-ils sur-représentés mais, pour une toute petite partie d’entre eux ne brillant pas toujours par la qualité de leurs dessins, les résultats étaient largement meilleurs que leurs travaux habituels. À noter le nombre considérable d’artistes étrangers qui témoignent de l’importance qu’aura eu leur venue (ou leur non-venue dans le cas de Trina Robbins – contribution par ailleurs assez bonne) au Festival d’Angoulême. (Tout petit défaut quand même : certaines légendes étaient peu lisibles car mal éclairées.)
À propos d’anniversaire, La Maison des auteurs fêtait ses 20 bougies. Elle accueille en résidence un nombre important d’artistes angoumoisins ou venus du monde entier, et pas seulement des jeunes, et expose systématiquement pendant le Festival les travaux des présents de l’année écoulée.
Elle totalise entre 360 et 393 résidents depuis 2002, d’après les chiffres trouvés ici et là, sachant que la durée de résidence peut varier de quelques mois à deux ans, et que certains font plusieurs séjours, comme le québecois Jimmy Beaulieu (dont un très beau dessin ornait la couverture du n°4 de Bananas), qui présentait cette année quelques pages d’un récit, je cite, « sur le voyage, le deuil et le partage ». Bon anniversaire à La Maison des auteurs et à sa directrice, Pili Munoz, présente depuis le départ.
Si les expositions constituent un point fort, il y a aussi les rencontres avec des auteurs très diversifiés, du couple Catel/Bocquet (venu parler de leur travail en cours sur l’iconique Nico) à Julie Doucet et Manuel Fior. Fabrice Neaud est venu parler, en habit d’apparat, de la réédition chez Delcourt de son Journal, qu’il convient désormais d’appeler « Esthétique des brutes », et de sa suite à paraître. (Pour rappel, le n°12 de Bananas en a publié quelques planches). Fabrice Neaud l’avait déjà fait 13 ans auparavant, sur ce même sujet, avec le même animateur (Xavier Guilbert) et en ce même lieu (le Conservatoire de Musique), en tenant un discours déjà très brillant mais exprimant des points de vue différents. Incontournable Fabrice Neaud, symbole involontaire de l’hier, de l’aujourd’hui (et du demain) du festival.
Je n’oublie pas qu’il avait été l’un des cofondateurs de la revue et maison d’édition ego comme x, avec notamment Xavier Mussat, lui aussi de retour à Angoulême, le temps du festival, pour dédicacer son dernier livre de bande dessinée, sorti presque 10 ans après le précédent.
Je n’oublie pas enfin qu’il y avait des remises de prix. Mais à quoi bon les commenter…
Pendant la fête, la lutte continuait. Les étudiants de l’École Européenne Supérieure de l’Image manifestaient le 3e jour dans les rues, au sein d’un cortège bariolé, pour réclamer plus de moyens, en matériels et en enseignants.