Projet de couverture pour la nouvelle formule de Bananas en 2006

ATTRISTÉ par la mort en plein milieu des grandes vacances d’André Juillard.

C’est un très grand auteur né en 1946 que j’ai lu tardivement mais avec passion. Je n’ai d’ailleurs jamais pris le temps de me plonger dans ses histoire de la seconde moitié des années 1970 parues dans la presse catholique. Je n’ai même commencé à lire sa première série à succès, publiée dans le mensuel Circus à partir de 1983, Les 7 Vies de l’Épervier, qu’avec décalage, postérieurement au numéro que lui consacra Les Cahiers de la bande dessinée en 1984, et peut-être même bien après le numéro de PLG de 1987. Quant à ses autres séries des années 1980, comme Masquerouge (avec Cothias) et Arno (avec Jacques Martin), j’attendrai les années 2000 pour les lire, soit bien trop tard pour m’y intéresser vraiment.

Le succès des 7 Vies a valu à Juillard le titre de « chef de file de la BD historique » (qualificatif d’ailleurs repris par la notice nécrologique de l’AFP, donc recyclée par de nombreux supports de presse généraliste), ce qui n’avait rien d’attractif pour moi : c’était même plutôt dissuasif (je n’ai d’ailleurs lu quasiment aucun des albums publiés par les éditions Glénat se rattachant à ce courant, malgré la bonne réputation d’une minime poignée d’auteurs).

C’est avec une œuvre mois légère que ne le pense Marie-Eve Lacasse (Libération du 2 août), Le cahier bleu, dont le mensuel A Suivre entame la publication en 1993, que va naître mon intérêt (et mon admiration) pour André Juillard. Le choc produit par sa lecture m’amène à en écrire la critique, sur pas moins de deux pleines pages, dans l’éphémère revue Brazil co-créée par Antonio Cossu. J’aimerai énormément aussi Après la pluie et les trois albums de Léna réalisés avec Pierre Christin, lirai avec plaisir ceux réalisés avec Cothias et Yann, mais ne parviendrai pas à me passionner pour ses reprises de Blake et Mortimer.

L’autre qualificatif usuellement appliqué à Juillard est d’être un dessinateur au style réaliste « voire académique ». Il est repris par Dargaud, son propre éditeur, dans le communiqué annonçant son décès, bien imprudemment car le terme est souvent utilisé de manière péjorative. D’ailleurs même Cédric Pietralunga et Frédric Potet dans Le Monde daté du dimanche 4 août qui louent un dessin qui « fait merveille » ne peuvent s’empêcher de faire précéder le compliment par un « certes académique ». L’académisme selon les poncifs en vigueur, c’est à peu près tout ce qui s’éloigne du dessin un peu informe et mollasson. Au cinéma, le qualificatif désignera souvent un « film d’époque » ou un « film à costume ». Il faudra attendre qu’un « auteur Cahiers » comme Olivier Assayas fasse un film s’apparentant à ces registres pour que les rédacteurs des Cahiers du cinéma découvrent qu’il n’est pas pour autant « académique ». Bien que le terme soit unanimement réprouvé de nos jours, l’artiste n’avait pas craint d’appeler « Juillard Académies » (peut-être même sans volonté de provocation ironique tant le mot correspondait bien à l’exercice auquel il se prêtait) un splendide port-folio de nus de ses diverses héroïnes, paru chez Toth en octobre 2011.

Dans La Croix du 5 août, Bruno Frappat, journaliste ayant écrit sur la bande dessinée à une époque où ça n’était pas encore courant dans la « grande presse », trouvait les mots justes concernant son ami décédé : « Adepte de la ligne claire, pratiquée en leur temps par Hergé et Edgar P. Jacobs, il en appliquait les exigences et les vertus : beauté simple, lisibilité, documentation impeccable, respect du lecteur et des sujets traités, ironie légère et tolérance extrême. » Citer la beauté au premier rang des vertus, fut-elle (à tort) supposée « simple » (même si c’était surtout une idée d’humilité qui était ici mise en avant), c’est assurément choisir le meilleur terme même s’il paraît aux yeux des sots, passéiste et réactionnaire. Daniel Couvreur, dans Le Soir, parle tout aussi justement, à ceci près que ça ne s’applique sûrement pas dès la série Masquerouge, de « la force et la beauté de son instinct de dessinateur », ajoutant un élément absolument essentiel : « À la pointe de son crayon, chaque détail, chaque regard témoigne de sa capacité à se libérer des codes et de l’imitation ». Ce n’est pas l’auteur d’un article dans le Bananas n°1 de 2006, au titre volontairement provocateur nommé « l’invention de la beauté », qui affirmerait aujourd’hui le contraire. (Pour ce même numéro, plusieurs essais de couverture avait été réalisés, dont celui figurant en illustration ci-dessus, finalement non retenu au bénéfice d’un dessin de Guido Buzzelli, autre immense artiste mais d’un tout autre genre).

Paris, lithographie originale sur Velin d’Arches avec pochoir à la main (9 couleurs) – PMJ éditions

Relisez les meilleures bandes dessinées d’André Juillard, sans oublier de vous laisser du temps pour un exercice d’admiration devant ses multiples autres images (livres et sérigraphies) éditées par des gens de goût (Christian Desbois, Alain Beaulet, Pierre-Marie Jamet, Daniel Maghen), souvent galeristes.

STUPÉFAIT devant le prix de vente de l’original de la couverture du tome 7 du Chat du Rabbin de Joann Sfar fixé à 45.000 euros par la Galerie Barbier.

HEUREUX que le Festival International de la bande dessinée d’Angoulême mette l’Espagne à l’honneur pour son édition 2025. Même si ça arrive 14 mois après le SoBD. À cette occasion, un pavillon sera entièrement dédié à la création hispanique « dans toutes les langues parlées en Espagne ».