Le 47e Festival International de la Bande Dessinée en quelques images.
Cette édition restera marquée par la venue d’Emmanuel Macron, second Président de la république à se déplacer au Festival, et par une mobilisation sociale découlant de la contestation de la réforme des retraites et de celle, plus spécifique, des auteurs de bande dessinée, de plus en plus nombreux et de plus en plus précaires. Ayant passé l’essentiel de mon temps dans les expositions, hormis quelques difficultés de circulation le jeudi, dues à l’impressionnant dispositif de sécurité visant à éviter toute confrontation entre le Président et les contestataires, la seule trace de cette effervescence fut, pour moi, quelques tags sur les murs, près du Vaisseau Moebius.
Sans grande surprise, le cru 2020 a été à la hauteur des espérances. Si l’exposition consacrée au scénariste Robert Kirkman n’avait pas la magnificence de l’exposition Batman de l’année dernière, elle était cependant totalement réussie.
Moins de moyens scéniques, très peu d’originaux concentrés à la toute fin, mais des reproductions de planches et des panneaux de présentation de ses grandes séries (Walking Dead, Invincible, Outcast, Oblivion Song) parfaitement adaptés.
Le même bâtiment de l’Alpha-médiathèque abritait une exposition d’Antoine Marchalot adepte d’un humour que je qualifie, comme le dossier de presse, d’« aussi désopilant qu’absurde ». Bien que sonnant comme un cliché, l’expression est fort appropriée.
Nicole Claveloux, connue comme dessinatrice jeunesse et collaboratrice d’Ah! Nana, Métal Hurlant et Charlie Mensuel dans la deuxième moitié des années 1970, était célébrée à l’Hôtel Saint-Simon. Si les espaces sont contraints et ne peuvent contenir qu’un petit nombre de visiteurs, les expositions y sont toujours brillantes et consacrées à des artistes qui le sont tout autant.
Jeanne Puchol –dont Bananas n°11 a publié un très long entretien – co-commissaire de l’exposition, expliquait dans Les Cahiers de la BD (n°10), qu’ « au lieu d’un classement thématique, [elle avait] plutôt cherché les résonances, en associant tous les champs créatifs de cette artiste multiforme, en explorant son univers et son humour, à travers ses BD, ses illustrations, ses peintures, et même ses œuvres érotiques. »
Un bonheur n’arrivant jamais seul, Nicole Claveloux décrocha le Prix du Patrimoine pour la réédition de La Main Verte chez Cornélius qui publie, ce jeudi, un autre de ses livres, dans une nouvelle édition : Morte saison et autres récits.
Yoshiharu Tsuge, né en 1937, considéré comme le premier auteur du Watakushi-manga (bande dessinée du moi), ne pouvait qu’intéresser les défuntes éditions ego comme x qui le publièrent pour la première fois en français en 2004. Mais depuis L’homme sans talent, aucun autre livre n’était paru jusqu’à ce que, en 2019, Cornélius, encore lui, commence à éditer plusieurs anthologies. C’est donc sur un auteur important, mais quasi-inconnu du public français, que le Musée d’Angoulême a consacré une belle exposition. A remarquer que ses commissaires ont eu la bonne idée de présenter de nombreuses planches originales munies de bulles traduites en français.
Dans le même bâtiment : Les Mondes de Wallace Wood. Collaborateur d’EC Comics où il dessine des histoires de guerre et d’horreur, des premières années de Mad, il a œuvré également, seul ou avec d’autres, dans le super-héros.
Mais il est également considéré comme le précurseur de la bande dessinée underground en 1966, avec sa revue Witzend. Il est d’ailleurs très présent dans L’Echo des Savanes des années 1970 qui a traduit son ingénue sexy Sally Forth, son dur-à-cuire Cannon et ses détournements érotico-parodiques. Là encore, avalanche d’originaux plus magnifiques les uns que les autres et couvrant toute sa carrière, à l’exception de ses ultimes travaux que les organisateurs n’ont pas eu le cœur de montrer tant ils auraient juré avec le reste de l’œuvre. Lors de la conférence qui lui était consacré au Conservatoire, Frédéric Manzano, l’un des principaux commissaires de l’exposition, est venu avec un invité surprise, le dessinateur Bill Wray qui a évoqué Wallace Wood qu’il admire beaucoup et avec qui il devait collaborer juste avant son suicide.
Ne quittons pas le domaine des super-héros avec l’exposition Jean Frisano, de Tarzan à Marvel, l’Amérique fantasmée. Il est heureux que le Festival à qui l’on reproche régulièrement son élitisme laisse une place à des dessinateurs moins « artistes » et plus « artisans », en l’occurrence l’auteur de très nombreuses couvertures des publications LUG qui publiait notamment le mensuel Strange qui fit tant pour populariser les héros Marvel.
Pour autant, il n’est pas obligatoire de souscrire à son « auteurisation » comme le faisait le programme officiel en le présentant comme le « dessinateur qui a élevé l’exercice de la réinterprétation au rang d’art ». Les visiteurs pouvaient d’ailleurs juger sur pièce puisque certaines de ses couvertures étaient présentées à proximité de leur source d’inspiration américaine.
A mille lieux des messieurs musclés en costume moulant, Catherine Meurisse, par ailleurs en compétition pour le Grand Prix finalement remporté par Emmanuel Guibert, faisait l’objet d’une exposition au Musée du Papier. Bien qu’elle soit encore assez jeune, elle a déjà beaucoup produit. Collaboratrice à Charlie Hebdo qu’elle a quitté après la tuerie, on lui doit une poignée d’albums chez Dargaud très recommandables. Cette exposition m’a cependant permis de m’attarder un peu sur son trait qui ne m’avait pas marqué outre mesure jusqu’ici. Comme quoi, même si la bande dessinée n’a pas vocation première à être exposée, l’exercice peut permettre de redécouvrir une œuvre, ou un artiste, avec un œil neuf. Ses propos étaient par ailleurs relatés sur des écrans, évoquant différents thèmes : son apprentissage de la liberté, sa reconstruction après l’attentat, l’importance croissante de la peinture, la fabrication très concrète de ses histoires.
L’exposition consacrée à Edmond-François Calvo (1892 – 1957) contenait de véritables trésors. J’ai d’ailleurs eu quelques difficultés à la parcourir tant j’avais du mal à m’extraire du premier panneau qui présentait la presque totalité (me semble-t-il) d’un abécédaire animalier extraordinaire. Anne Hélène Hoog, conservatrice du Musée de la bande dessinée depuis 2017, et co-commissaire de l’exposition, parlait brillamment, en peu de mots et beaucoup de contenu, du dessinateur de La Bête et morte et des Moustache et Trottinette, dans l’émission Mauvais Genre (diffusée sur France-Culture le samedi 8 février, et toujours réécoutable). Elle semblait toutefois ignorer que le Salon Européen de la Bande Dessinée de Grenoble, qui tentait alors de prendre la place d’Angoulême, avait déjà consacré à cet artiste animalier de génie une exposition en mars 1989, quelques mois avant que Le Collectionneur de Bandes Dessinées ne lui consacre la totalité de son numéro 60/61.
Wolinski a dit un jour de Crepax qu’il dessinait les plus belles fesses de la bande dessinée. Il aurait pu ajouter que Calvo avait dessiné les plus beaux trous du cul.
Dernière exposition vue, et pas la moindre : Dans la tête de Pierre Christin.
Là encore, c’est une bonne idée de mettre un scénariste en valeur, surtout de cette trempe. Jean-Pierre Mercier en a assuré le commissariat mais il était bien indiqué sur le panneau de présentation : « sur un scénario original de Pierre Christin ». Comme il s’en expliquait lors d’un débat en compagnie de ses plus fidèles dessinateurs (Mézières, Juillard, Bilal), le co-créateur de Valérian et Laureline n’est pas un fan d’exposition de bande dessinée ; Pour lui, tout ne se prête pas à être exposé. Comme ce qu’il aime, c’est la dramaturgie, il était logique que l’exposition soit ordonnée d’une certaine façon. L’œuvre étant considérable, les pièces présentées étaient nombreuses : mieux vaut trop que pas assez, aux visiteurs de faire leur propre sélection de pièces devant lesquelles ils souhaitent s’arrêter. Un seul regret, sous forme de question que je pose directement au commissaire : pourquoi plonger l’exposition dans la pénombre (même si les planches elles-mêmes étaient parfaitement éclairées) ? Je ne manquerai pas de mettre la réponse sur ce blog dans un mois !
Tout comptes faits, neuf expositions visitées, dont aucune dans la précipitation. Et neuf expositions dignes d’éloges. Et je ne compte pas celle des résidents de La Maison des Auteurs, ni le Pavillon Jeunes Talents, avec quelques belles découvertes à la clé dont il aurait convenu de parler (ce sera pour une prochaine fois). Bien évidemment, cela laisse peut de temps pour voir les spectacles (ou faire la queue aux dédicaces), mais ça n’est pas vraiment un problème (surtout pour les dédicaces !). Pour ceux qui n’ont pu venir au Festival, quelques expositions sont encore visibles : celle de Catherine Meurisse (jusqu’au 1er mars), celle de Yoshiharu Tsuge et de Wallace Wood (jusqu’au 15 mars), celle de Calvo (jusqu’au 31 mai). Une seule d’entre elle vaut le déplacement Ne serait-ce que pour une seule d’entre elles (n’importe laquelle), le déplacement à Angoulême vaut le coup : n’hésitez pas !
Une petite frustration subsiste cependant : celle d’avoir assisté à trop peu de rencontres et d’avoir loupé la conférence de Bernard Joubert (spécialiste ès-censure et collaborateur au très sélect fanzine La Table où n’est conviée que l’élite du monde de la bande dessinée), consacrée cette année au pet, ce qui a fait dire à une mauvaise langue que les conférences de Bernard Joubert, c’est rien que du vent.