Plusieurs paragraphes de l’article consacré à la revue Charlie Mensuel publié dans le numéro 105 de dBD (juillet-août 2016) ont été réduits à quelques phrases, faute de place. En voici la teneur :
Linus, prototype de la revue moderne
En avril 1965, paraît en Italie une nouvelle revue dont le nom, Linus, se réfère à un personnage de « Peanuts », jugé sympathique et plein de fantaisie. Le choix de ce nom facile à retenir (?) traduit surtout une volonté de se référer à une série symptomatique d’une « littérature graphique » moderne. Car si la publication de Popeye et de Krazy Kat révèle un attachement de la revue aux classiques de la bande dessinée, il ne faut pas oublier que « Peanuts » et « Li’l Abner » qui complètent le sommaire sont alors totalement contemporains. En outre, Linus annonce immédiatement son attention de publier de jeunes auteurs, ce qui sera fait dès le numéro 2, avec l’arrivée d’un Guido Crepax encore bien malhabile, présentant un nouveau personnage, Neutron, assez rapidement éclipsé par sa compagne Valentina, évoluant dans un milieu décrit comme « littéraire et mondain ». La partie rédactionnelle qui s’ouvre par une conversation menée par Umberto Eco autour des Peanuts et de la bande dessinée consacre également quelques pages au 1er Salon International des Comics qui vient de se tenir à Bordighera et inaugure une rubrique intitulée « Histoire de la bande dessinée ». Charlie ne semble pas partager le même intérêt pour le 9e art. « Nous aimons la bande dessinée » peut-on lire dans l’éditorial du premier numéro. Mais dès le 4e, Delfeil de Ton, son rédacteur en chef, écrit que Charlie « se veut d’ailleurs plus un journal d’humour qu’une revue de bandes dessinée ». Hormis cette différence, Charlie ressemble à s’y méprendre à Linus au point qu’aujourd’hui on ne parlerait plus « d’influence » mais de « contrefaçon ».
Linus va devenir un prototype de la revue moderne de bande dessinée. Rapidement, elle sert de modèle à d’autres supports italiens, comme par exemple Eureka qui aura sa version officielle française sous le nom de Pogo en avril 1969, soit deux mois seulement après la naissance de Charlie. Au sommaire des numéros français, quelques articles sur la bande dessinée et surtout des récits essentiellement américains où l’on remarque des auteurs comme Feiffer et des séries comme « Andy Capp », « Wizard of Id » ou « BC » pour ne citer que celles que l’on retrouvera plus tard dans Charlie. La rédaction française est assurée par Claude Moliterni et l’équipe de Phénix, l’une des rares revues francophones consacrées à la bande dessinée dans les années 60. Pour l’anecdote, cette dernière reproduit les couvertures assez semblables des Charlie et Linus d’avril 1969 en les accompagnant d’un commentaire dont on ne sait trop s’il faut y déceler une simple lueur d’amusement ou une pointe de malveillance : (« (…) une étrange coïncidence entre Charlie et Linus du mois d’avril. Sans commentaires ! (…) »).
Une gazette où les petits miquets font les grands esthètes
Ce rapide tour d’horizon ne serait pas complet si l’on omettait de parler des importantes rubriques notamment consacrées à la bande dessinée. Il y eut d’abord quelques articles ponctuels sur les collectionneurs américains et les fanzines, puis une rubrique d’information régulière, le tout assuré par un jeune homme dénommé… Jacques Glénat-Guttin qui s’était fait remarquer par son fanzine Schtroumpf / Les Cahiers de la bande dessinée. Il sera remplacé quelques années plus tard par Théophraste Epistolier, alias Yves Frémion, animateur d’un fanzine d’un tout autre genre, très déconnant, Le Petit Mickey qui n’a pas peur des gros, qui se payait le luxe d’être illustré par les meilleurs dessinateurs de l’époque. Si l’underground est particulièrement à l’honneur dans la rubrique, de même que les jeunes talents qui commencent à s’affirmer, il est également question du premier salon d’Angoulême, de narration, d’Histoire, des femmes, de pédagogie, de la critique, de Töpffer et des dessinateurs du XIXe siècle, de ceux du début du XXe, de Giffey et de Calvo, de l’équipe Disney, des dessinateurs français de l’après-guerre un peu oubliés mais aussi de ceux de Vaillant ou Spirou restés dans les mémoires. Willem eut également sa tribune, sous le titre « Chez les esthètes », aux allures de revue de presse bis, généralement centrée sur des dessinateurs issus d’horizons multiples (Verbeek, Rube Goldberg, Mc Cay, Herriman, Steinberg, Ungerer, Gorey, John Willie, Topor, Grosz, Heartfield, etc.).
Parallèlement, Jean-Pierre Andrevon écrivit sur la SF, Jean-Patrick Manchette sur le polar, le critique de cinéma Michel Pérez, un temps traducteur de Krazy Kat et Peanuts, chroniqua les beaux-livres, etc.
Evariste BLANCHET