Le 13e SoBD aura été pleinement satisfaisant, tant au niveau de la fréquentation que du programme. Contrairement à certaines des éditions précédentes, il n’aura souffert ni de la neige, ni de grèves (celles qui affectaient la gare Saint-Lazare étaient peu suivies), ni d’ émeutes, ni de pandémies. De quoi être totalement serein, et même plutôt joyeux dans une période particulièrement mortifère.

Avant le SoBD, c’est déjà le SoBD

Laura Pérez Vernetti, Marika Vila et Paco Roca à la journée d’étude au Centre d’études catalanes

Co-organisateur de la Quinzaine de la bande dessinée espagnole à Paris, avec la dynamique association d’étude de la bande dessinée (et pas seulement espagnole) Tebeosfera (dont le site regorge d’études passionnantes), le SoBD proposait le lundi 27 novembre, au Centre d’études catalanes de Sorbonne Université, une journée d’étude sur la bande dessinée en Catalogne, à Valence et aux Îles Baléares. Le programme très varié permettait d’entrevoir la richesse d’une production qui remonte au XIXe siècle, comme le démontra dans un laps de temps hélas trop court Jaume Capdevila, spécialiste de cette période, et par ailleurs dessinateur sous le pseudo de Kap, et lauréat de plusieurs prix. À noter, tout au long de cette journée, la présence de femmes (quasiment pas traduites en France), soit en tant que sujets de communication (Nùria Pompeia, Laura Pérez Vernetti), soit en tant que participantes (Laura Pérez Vernetti, Marika Vila). Comme en France, les dessinatrices ont longtemps été ultra-minoritaires, même en tenant compte du fait que les productions anciennes n’étaient souvent pas signées, ce qui complique la recension par sexe.

Deux jours plus tard, c’est l’Institut Cervantes de Paris qui accueillait un symposium sur la bande dessinée espagnole avec l’accent français, avec des communications sur les auteurs établis en France pendant la dictature franquiste, les agences de diffusion, l’état du marché, etc. Hormis une communication et une table ronde non traduites en français, qu’il m’a été impossible de suivre, tout le reste m’a fortement intéressé. En particulier la catégorisation de Jesús Lacasa Vidal des exilés par période, illustrée par le cas d’un artiste : l’exil des années 1940 (avec Arnal, créateur de Pif le chien), l’émigration économique des années 1950 (avec Monzón, créateur de Group-Group, un personnage rappelant un peu le Marsupilami créé pour Vaillant), le second exil des années 1960 (avec Mora, scénariste de Gimenez, Parras, Goetzinger, etc.) et l’agonie du Franquisme dans les années 1970 (avec Font, collaborateur de Pif Gadget et de Circus). Ou encore : le témoignage très émouvant de Tito, dessinateur des séries Jaunes, Soledad et Tendre Banlieue.

À côté du SoBD, c’est aussi le SoBD

J Pallardo, M Van Gheluwe et J-C Chauzy à l’Académie du climat

L’Académie du climat accueillit le samedi 2 décembre le Français Jean-Christophe Chauzy, la Belge Mathilde Van Gheluwe et l’Espagnol Jaume Pallardo, venus présenter leur livre post-atomique. Pas sûr que le mot Vegan, pourtant en titre de la table ronde, fut prononcé mais l’on évoqua à plusieurs reprises le roman La Route de McCarthy que Chauzy trouvait impossible à adapter en bande dessinée, bien que, précisa-t-il, Larcenet soit en train de s’y attaquer. J’avoue avoir eu un peu peur d’assister à des échanges convenus sur l’écologie et le climat. Or, les propos tenus furent instructifs. Ainsi, Chauzy, après avoir modestement indiqué qu’il n’était pas là pour apporter des solutions, parla très concrètement de son travail et en quoi le sujet même de son dernier livre lui interdisait d’utiliser le gaufrier (technique de composition d’une page utilisant des cases d’une taille identique et souvent assez petite) pour mieux valoriser le paysage qui se retrouve alors au premier plan.

Le SoBD pendant le SoBD

Stand stripologie.com

Bananas, une fois de plus, était présent en avant première (le n°16 ne sortira que le 9 février 2024) sur le stand stripologie.com, la librairie en ligne qui propose tous les types de livres et revues SUR la bande dessinée dont quelques-uns sont introuvables ailleurs.

Stand Fordis – Roberto Baldazzini en dédicace

Les autres exposants appartiennent plutôt à la mouvance alternative ou sont des structures moyennes (Ça et là, Delirium, Ilatina, L’Apocalypse – qui prévoit de sortir bientôt un classique de Jean-Claude Forest – , La Cafetière, Tanibis, Fordis – qui présentait un troisième volume des Pionniers de l’Espérance– etc.). Mais il y avait aussi de la bande dessinée d’occasion, un stand de vente d’originaux à des prix corrects, des éditeurs dit underground, un galeriste, j’en oublie.

Loustal, invité d’honneur du SoBD 2023, dans son atelier
Erwin Dejasse, autre invité d’honneur du SoBD 2023

Loustal (invité d’honneur avec le chercheur Erwin Dejasse) bénéficiait de son exposition dans un espace dénommé « musée éphémère », tandis que les Espagnols (Colazo, Kim, Laura Perez Vernetti, Marika Vila, Prado et Roca) étaient présentés à l’entrée, tout près de leur stand où ils dédicaçaient des livres en version originale ou traduits en français selon les cas. En tout, le SoBD présentait pas moins de 12 expositions sur 4 sites différents mais tous situés les uns à proximité des autres.

Ph. Morin, J. Puchol, Ch. Rosset et E. Dejasse, commentant des planches de Loustal

Les tables rondes étaient consacrées aux invités d’honneur, au pays invité, à la technique et aux études et discours sur la bande dessinée. Réparties dans deux salles, il fallu souvent faire des choix cornéliens. J’ignore quelle(s) table(s) ronde(s) sera (seront) retranscrite(s) dans un an dans Bananas. Possiblement celle au titre un rien provocateur « La bande dessinée de fiction est-elle révolue ? ». Certains échanges entre Jeanne Puchol, Sylvain Insergueix et Manuel Hirtz, même en frôlant parfois le hors-sujet, étaient bien enrichissants.

J. Puchol, M. Hirtz et S. Insergueix – La BD de fiction est-elle révolue ?

Concernant la revue de littérature qui présente quelques ouvrages parus dans l’année, elle sera comme d’habitude retranscrite sur le site du9. Mais il faudra être patient. Celle de 2022 n’a toujours pas été mise en ligne.

F. Rubis, H. Morgan, R. Chavanne ,I. Le Roy Ladurie et M. Hirtz – Revue de littérature

Deux prix ont été décernés : celui de la SCAM (société d’auteurs dont l’une des missions est de collecter et de répartir les droits d’auteurs) à Blutch pour La Mer à boire (Éditions 2024), et le Prix SoBD à un ouvrage « remarquable » sur la bande dessinée : Dans l’ombre du Professeur Nimbus (PLG) d’Antoine Sausverd.

Il y avait encore bien d’autres choses que j’ai loupées, à la librairie Karthala (pas moins de trois livres sur la bande dessinée parus cette année aux éditions éponymes), à la médiathèque de la Canopée, à la BPI du Centre Pompidou, plus une master class avec Loustal, et, à la halle des Blancs-Manteaux, des ateliers (fanzines, badges, linogravures, etc.) et une performance de Guillaume Trouillard.

Abstraction d’Adrien Veczan – (Attention, la mauvaise qualité de reproduction de cette couverture la dénature. D’un point de vue général, les personnes irritées par la qualité déplorable des photos de ce site peuvent se reporter à celles qui seront mises sous peu en ligne sur le site sobd2023.com.)

Mais l’intérêt d’un salon comme le SoBD, c’est la possibilité d’engager très facilement des discussions avec des auteurs sans avoir à faire la queue des heures pour obtenir une dédicace de leur dernier livre. Rencontres qui tiennent parfois du hasard. Ainsi, j’ai fait connaissance, à la fin d’une table ronde, d’Adrien Veczan et de sa « bande photographiée » (l’auteur ne la considérant pas comme un roman-photo) : Abstraction. La qualité de la réalisation m’est apparue d’emblée exceptionnelle, et la lecture ensuite de l’œuvre en a confirmé l’intérêt. L’aspect ironique et parodique est évident, mais le scénario ne se contente pas de jouer sur les stéréotypes. Sur le roman-photo, ou apparenté, comme forme (possible) d’une bande dessinée difficilement commercialisable (les libraires ne savent pas dans quel rayon placer ces livres), je renvoie au numéro 16 de Bananas. La difficulté est plus grande encore pour Adrien Veczan en raison même de la qualité visuelle de son travail que des éditeurs alternatifs pourraient assimiler à une esthétique « publicitaire », donc insufisamment « arty ». J’espère pour lui qu’il rencontrera la bonne personne sachant dépasser le préjugé courant comme quoi, pour qu’un objet soit réellement artistique, il faut qu’il soit un peu moche ou mal foutu.

Cela me fait penser à un échange récent avec l’éditeur Philippe Morin, qui dirige la collection « Mémoire Vive »/PLG, sur la détestation des jurys du Festival d’Angoulême pour le dessin considéré comme académique… mais seulement quand il n’émane pas d’un auteur de manga.

Après le SoBD, c’est encore le SoBD

Exposition de planches au Centre d’études catalanes
Exposition de revues au Centre d’études catalanes

La Galerie Cécilia F. (4 rue des Guillemites, 75004 Paris), entièrement consacrée aux artistes d’aujourd’hui (et peut-être de demain), expose jusqu’au 8 décembre, les lauréats du concours Jeunes Talents étudiants, avec le soutien des CROUS. Les planches qui ont été primées par un jury qui comptait Renaud Chavanne, créateur du SoBD, et Gilles Poussin, co-auteur du livre de référence sur Métal Hurlant, ont été reprises dans un recueil de 24 pages intitulé Métamorphose, offert aux visiteurs.

À partir du 9 décembre, et jusqu’au 22, Étienne Lécroart, membre actif de l’Oubapo (Ouvroir de Bande dessinée Potentielle) y exposera et vendra des planches.

Quant à l’exposition La BD espagnole en pays catalans du Centre d’études catalanes, 9 rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, 75004 Paris, elle est visible jusqu’au 13 décembre 2023.

Hors du SoBD, il y a le FIBD

On ne présente plus le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Quant au programme de la 51e édition, dévoilé en novembre, il n’a pas déclenché un enthousiasme délirant. Figurent des expositions sur L’Arabe du Futur (Sattouf, Grand Prix d’Angoulême 2023 et réalisateur, pour la deuxième année consécutive, de l’une des trois affiches de la manifestation), L’Art de courir par Lorenzo Mattotti (J.O. de Paris oblige) et le scénariste Thierry Smolderen (Prix Goscinny 2023), et des rencontres avec, je cite, des « auteur·rice·s confirmé·e·s » dont on ignore les noms à l’exception de quelques Japonais. Il faut espérer quelques bonnes surprises du côté de la Cité de la bande dessinée dont il n’aurait pas été fait mention lors de la conférence de presse (à laquelle je n’ai pas assisté). Tout ce que je sais, c’est qu’est prévue une exposition consacrée aux 77 ans du Journal de Tintin au Musée de la bande dessinée.

Mort sans connaître le SoBD

Le dessinateur Pierre Le Goff est décédé le 4 décembre. Sa carrière est décrite, avec de nombreuses illustrations, sur le site bdzoom qui a annoncé la nouvelle.

https://www.bdzoom.com/191271/actualites/deces-de-pierre-le-goff-a-91-ans/

Bananas (n°10 et 11) avait exhumé de ses archives quelques petits trésors de ce dessinateur qui fut par ailleurs un syndicaliste important. Il est encore temps d’en prendre connaissance.