Voilà bien longtemps que le programme n’avait pas été aussi peu alléchant. Toutefois, comme prévu, il y avait de quoi voir et entendre, ce qui est l’essentiel.

Édition sans éclats donc, dans tous les sens du terme puisque sans polémique. Il faut dire que tout, à la fois dans le choix des auteurs exposés, et à l’intérieur des expositions, avait été fait pour que les fâcheux qui ont une capacité hors norme pour se sentir offensés restent apaisés. A noter que les deux bénéficiaires des prix les plus convoités, Posy Simmonds (Grand Prix) et Daniel Clowes (Prix du meilleur album) n’avaient pu se rendre au Festival.

Comme annoncé, le n° 16 de Bananas, à paraître le 8 février, était disponible en avant-première sur le stand PLG. Mais je veux bien admettre que ce n’était pas l’événement principal de cette 51e édition.

Stand PLG : Philippe Morin (éditeur) et Benoît Barale (auteur)

Petit tour d’horizon sous forme d’abécédaire, illustré par des photographies plus moches que jamais.

A comme anniversaires

Remise du Prix ACBD (à droite, l’éditeur et les lauréats )

L’Association des critiques et journalistes de bande dessinée, après avoir remis leur prix, en présence de l’éditeur Jean-Luc Fromental, à Antonio Altarriba (scénariste), Sergio Garcia Sànchez (dessinateur) et Lolal Moral (coloriste) pour Le ciel dans la tête, a diffusé un guide pour fêter ses 40 ans qui présente succinctement tous les livres primés.

Autre anniversaire, plus remarqué : les 77 ans du Journal de Tintin qui s’est longtemps présenté comme « le journal des 7 à 77 ans ». Une exposition à la Cité reprenant des extraits d’un gros numéro spécial, présentait des reproductions de planches anciennes et des originaux d’auteurs contemporains réutilisant avec leur propre style des héros du passé. Fut organisée une rencontre réunissant un ancien collaborateur (Dany) et trois « repreneurs » dont François Boucq, particulièrement brillant, tant dans son adaptation de Modeste et Pompon (série créée par Franquin lorsqu’il se fâcha momentanément avec son éditeur Dupuis) que par la hauteur de ses interventions orales portant sur des aspects techniques (composition). Expo visible jusqu’au 12 mai 2024.

A comme Adolescents en guerre.

Si l’exposition précédente était coproduite par les éditions du Lombard, celle-ci, située au Musée du papier, l’était par les éditions Dupuis, éditrice des trois albums présentés, dessinés par Bertail, Cuzor et Carlé, les deux premiers se révélant particulièrement spectaculaires. Félicitations, pour l’intérêt et la concision des légendes placées sous les planches, au commissaire de l’exposition, Stéphane Beaujean, ex-directeur artistique du Festival et désormais éditeur chez Dupuis.

A comme (Nine) Antico

Nine Antico
Nine Antico, Madones et Putains

Exposition. Masterclasses. Multiples rencontres. Nine Antico était partout. Assez représentative d’une nouvelle génération aux accents féministes qui rompt avec une conception classique de la bande dessinée.

B comme (François) Bourgeon.

Exposition modeste par le nombre de pièces présentées mais finalement réussie, avec une proportion importante de planches des débuts, ce qui est assez courageux. Expo visible jusqu’au 5 mai 2024.

C comme Canada.

Exposition en plein air face à l’Hôtel de Ville, donc gratuite, bien conçue, avec des auteurs diversifiés. Le regroupement par région donne un sentiment de communautarisme, mais c’est probablement une mauvaise remarque d’un Français jacobin. Rencontres nombreuses et édition d’une brochure gratuite grand format. (Rappel : concernant le Québec, on peut se référer à L’Art de la bande dessinée actuelle au Québec de Mira Falardeau, toujours d’actualité.)

C comme Croquez ! La BD met les pieds dans le plat

Exposition à la Cité centrée sur bande dessinée et nourriture. Affiche de Posy Simmonds. Grande variété d’auteurs (pays, générations, styles). Beaucoup d’originaux et quelques reproductions. Quelques belles pièces à admirer, certaines attendues (le Gaston de Franquin), d’autres moins (je pense aux illustrations d’Aurélia Aurita). Expo visible jusqu’au 10 novembre 2024.

D comme (Sophie) Darcq

Sophie Darcq et son éditeur Jean-Christophe Menu

Quelques heures après la photo, Sophie Darcq, ancienne résidente de La Maison des Auteurs, recevait le Prix du Jury pour le premier tome d’Hanbok déjà primé au Festival Quai des Bulles de Saint-Malo. Graphiquement, ça vole bien plus haut que bien des productions de la toute nouvelle génération qui réussissent pourtant à trouver leur public, si j’en crois le succès de certains stands de la bulle Nouveau Monde.

F comme fanzines

Laurent Lolmède au travail sur le stand J’ai !

Les fanzines étaient partout, dans les endroits abritant le off comme dans la bulle Nouveau Monde.

Philippe Morin (à droite), en compagnie du lauréat 2023 du Prix de la bande dessinée alternative, fanéditeur catalan de Forn de Calç

Malgré la surproduction désormais permanente d’albums, les fanzines « de création » sont toujours aussi nombreux (contrairement aux fanzines « d’études » quasiment disparus, Tonnerre de Bulles en étant le seul représentant français). Philippe Morin en a témoigné dans sa présentation des candidats 2024 au Prix de la bande dessinée alternative, quelques heures avant que le hollandais Aline ne soit récompensé.

G comme Garo

Claude Leblanc, à gauche

Claude Leblanc, auteur d’un livre sur Garo, est venue parler de la mythique revue japonaise sur la Scène Manga de l’Alpha devant une salle pleine principalement constituée de jeunes adultes âgés à vue de nez entre 20 et 35 ans.

H comme (Moto) Hagio

Moto Hagio

Moto Hagio, « un monument dans l’histoire de la bande dessinée japonaise », selon Xavier Guilbert l’un des co-commissaires d’une belle exposition au Musée d’Angoulême, a bénéficié d’une pleine page dans Le Monde et dans Le Figaro.

M comme Manga City

Endroit toujours très fréquenté par les jeunes. Stands divers dont celui assez grand de Taiwan, pas encore avalé par la Chine continentale. Ce que la photo ci-dessus ne montre pas.

M comme (Lorenzo) Mattotti

Avec Attraper la course, Mattotti illustre à son corps défendant la manière dont le Festival court après l’actualité et les subventions. Le talent de l’artiste est un fait acquis mais, malgré quelques belles découvertes en noir et blanc qui ne ressemblent pas à ce que l’on connaît de lui, difficile de ne pas ressentir un peu d’ennui.

M comme (Le) Monde

Le Monde, nouveau partenaire du Festival, animait un débat sur le thème « Voir c’est voir. Quand la BD nous empêche de détourner le regard ». Thème qui avait fait l’objet d’une enquête préalable de Jean Birnbaum dans Le Monde des Livres, le supplément littéraire du quotidien, daté du vendredi 19 janvier. Curieux échanges entre Joan Sfar, Nine Antico et Catherine Meurisse, à partir de questions pas toujours limpides du journaliste pré-cité, dont ils finirent tous les quatre, comme le public, par s’amuser.

M comme Maison des auteurs

A Venir, tel est le titre approprié de l’exposition de cette année des jeunes résidents de La Maison des Auteurs, accueillis pour y réaliser leurs travaux. Comme bien d’autres, Sophie Darcq y travailla avant de sortir son premier livre. Expo visible jusqu’au 25 février 2024.

N comme (Fabrice) Neaud

Fabrice Neaud et Sophie Darcq

Fabrice Neaud, nommé pour Le Dernier Sergent, dans la catégorie prix du meilleur album, remporté cette année par Daniel Clowes, est toujours très à l’aise oralement et passionnant à écouter. Mais le temps de la rencontre, limité à 45 minutes, était bien trop court pour ne pas frustrer les spectateurs. Je profite de l’occasion pour ajouter que contrairement à ce qu’écrivait une journaliste locale, Le Dernier Sergent, est plus qu’une « resucée » du célèbre Journal. Mais le refus du dessinateur d’accorder un entretien à La Charente Libre explique assez probablement cette petite pique. On peut s’attendre en retour à quelques commentaires bien sentis de l’intéressé sur les réseaux sociaux (que je ne fréquente pas pour préserver mon temps de lecture de livres… et ma santé mentale).

N comme Nouveau Monde

Grande diversité des éditeurs et des productions, et lieu souvent bondé, toujours plus intéressant à fréquenter que Le Monde des bulles où sont regroupés les plus gros éditeurs.

O comme Off

Le Off était disséminé un peu partout. Photo du Off du Off où Edmond Baudoin (à gauche sur la photo) est venu s’acoquiner.

P comme Photomatoon

En partenariat avec d’autres festivals, un concours de webtoons européen a été lancé. L’expo dont Jean-Philippe Matin et Vincent Eches sont les commissaires, jouant sur la nostalgie des cabines Photomaton, présente une dizaine de jeunes auteurs, tout en reconnaissant sa dette vis-à-vis de la bande dessinée coréenne qui est à l’origine du webtoon au début des années 2000. Expo visible jusqu’au 5 mai 2024.

P comme Pif

Parmi les nombreuses expositions hors programme officiel, un fan de Pif, dans le cadre des Amis de L’Humanité, avait bricolé sa petite expo sur Pif Gadget et tous les journaux pour enfants de la mouvance communiste. Il était possible de feuilleter (mais avec délicatesse) les exemplaires présenter sur les tables.

S comme Samplerman

Samplerman, spécialiste de collages, a été invité par la Cité à consulter les périodiques de sa riche bibliothèque et à créer dans le hall du Vaisseau Moebius, une fresque géante qui les raconte à sa manière très particulière. Fresque et mini-expo visible jusqu’au premier septembre 2024.

S comme (Hiroaki) Samura

Autre grande exposition manga, toujours instructive pour ceux qui comme moi lisent peu de bande dessinée japonaise, surtout lorsque l’on a la chance d’assister à la présentation faite par le commissaire de l’exposition, Fausto Fasulo, quasiment aussi brillant que Xavier Guilbert, ce qui n’est pas peu dire.

S comme (Riad) Sattouf

Je ne partage pas la déception de certains de mes petits camarades. L’exposition du Grand Prix de l’année passée concoctée par Caroline Broué (de France-Culture) était parfaitement réussie, et peu importe qu’elle ne proposât que très peu d’originaux qui, j’imagine, ne doivent pas différer beaucoup des reproductions.

S comme (Posy) Simmonds

Posy Simmonds au Centre Pompidou – Photo Herve Veronese

Je suppose que le simple fait qu’une femme ait été choisie comme Grand Prix sera un motif de satisfaction pour quelques-uns. Reste à espérer que son œuvre y soit aussi pour quelque chose. Même si accessoirement, je me réjouis que la lauréate, anglaise, ne soit pas issue du seul sérail franco-belgo-americano-nippon. Encore un effort messieurs les votants, et vous découvrirez qu’il existe même des auteurs italiens et espagnols, pour ne citer que nos proches voisins, que vous pourriez élire dans les prochaines années. Et comme je suis d’un étonnant optimisme, vous pourriez même finir par découvrir qu’il existe des personnes qui ne dessinent pas mais qui écrivent des histoires pour les autres et qui n’en sont pas moins des auteurs. Bon, mais là, c’est peut-être exiger beaucoup.

S comme (Thierry) Smolderen

Thierry Smolderen et Alexandre Clerisse
Au premier plan, Jean-Pierre Mercier (co-commissaire de l’exposition avec Thierry Smolderen) et les frères Jean-Philippe et Olivier Bramanti

Heureusement, il existe le Prix Goscinny pour les scénaristes, dont bénéficia Thierry Smolderen l’année dernière, ce qui lui vaut l’honneur de cette exposition cette année, peut-être l’une des plus intéressantes de cette 51e édition consacré à celui qui est également chercheur (et découvreur !) et enseignant.

Z comme Zut !

Parmi les événements que j’ai loupés, il y a eu la remise du Prix de la BD chrétienne à Edith pour Séraphine (Rue de Sèvres), d’après un roman de Marie Desplechin et le Prix Tounesol (récompensant la bande dessinée la plus écologique) pour Circuit court dessiné par Claire Malary et scénarisé par Tristan Thil, paru chez Futuropolis.