
Je suis particulièrement méfiant lorsque j’entends parler de « censure économique ». C’est systématiquement l’argument brandi par tous les organismes culturels divers et variés qui se voient refuser une diminution ou une absence d’avantages divers et de subvention. Pourtant, le mot « censure » est bien approprié pour qualifier le refus de la Commission paritaire des publications et agence de presse d’attribuer à la revue Charlotte des avantages postaux et fiscaux lui permettant de bénéficier d’un taux de TVA et d’un tarif d’affranchissement réduits. Comme le mentionne Didier Pasamonik dans sa contribution du 30 mars sur actuabd.com (qui m’apprend la nouvelle), cette commission a déjà sévi par le passé contre Pilote (A Suivre en fut une autre victime). On croyait ce type d’affaires cantonné au passé : il n’en est rien puisque des individus aussi bêtes qu’incultes continuent de sévir.
La raison invoquée pour justifier cette censure est que Charlotte contient des « illustrations à caractère pornographique » qui la disqualifie « au regard du critère d’intérêt général » qui rend possible l’attribution d’avantages économiques.
L’article sus-mentionné précise que cette commission est dirigée par des représentants de presse dont les noms sont cités (sous réserve me semble-t-il) et des membres du ministère de la Culture. Il est bien évidemment impossible de savoir qui a voté en faveur de l’exclusion de Charlotte.Charlotte. S’agit-il principalement des membres d’un ministère ayant pour mission de permettre au plus grand nombre d’avoir accès aux œuvres ? S’agit-il plutôt des membres de groupes de presse éditant des publications comme Auto-Moto, Ambiances Piscines et Voici ? Impossible de le savoir.
Je me demande (simple interrogation de ma part qui n’est assise sur aucun élément d’information) si ce n’est pas une nouvelle manifestation du wokisme ambiant (probable) et si la proximité de Bastien Vivès avec la revue n’a pas pesé dans la décision des censeurs (possible).
Quant à Bastien Vivès, il sera jugé en mai, non pas devant la chambre du tribunal dédiée à la presse, mais devant celle relevant de la justice des mineurs. Il faudra donc qu’il y ait un procès pour avoir l’occasion de démontrer que des photos ou des vidéos pédophiles ne sont absolument pas de même nature qu’une bande dessinée de fiction volontairement irréaliste par ses outrances. Voilà de quoi donner un peu d’occupation aux juges qui, n’ayant pas de véritables affaires de pédophilie à traiter, s’ennuient dans leur bureau.
Sur ce sujet, je renvoie à l’excellente émission du 20 février (« Affaire Bastien Vivès : peut-on tout dessiner ? ») d’une excellente radio (France-Culture) qui, chose désormais rare, permet à des points de vue assez opposés de s’exprimer de manière argumentée (je n’évoque pas seulement la pluralité des invités, ce qui est courant, mais celle des producteurs d’émissions).

J’apprends au même moment en lisant un billet de Frédéric Bosser dans dBD que Dany redessine actuellement l’album Spirou et la Gorgone bleue qui, suite à une polémique à l’automne dernier, avait été retiré de la vente par son éditeur qui avait même annoncé sa mise au pilon immédiate. Dany va-t-il se contenter de redessiner les visages de ses personnages noirs ou va-t-il également se sentir obligée de diminuer la surface de poitrine de ses héroïnes pour rendre son album plus conforme aux injonctions de ceux qui vocifèrent le plus bruyamment ?
Pendant ce temps, aux États-Unis, les anti-wokistes apurent les bibliothèques d’ouvrages qui, à leur tour, les offensent. Pour réaliser cette sinistre besogne, ces fanatiques n’ont pas attendu l’élection d’un président fascisant (le qualificatif ne me semble nullement outrancier, visant un masculiniste déclaré, faisant primer la force sur le droit, annonçant une volonté d’annexion de pays souverains, refusant le verdict des urnes quand il ne gagne pas les élections, annonçant déjà sa volonté de se représenter aux élections ce que lui interdit la Constitution de son pays, etc.).
J’appartiens à une génération qui a connu des intellectuels et des politiques qui ne se sont pas sentis obligés de refuser de condamner des dictatures d’extrême-droite au motif que ça ferait le jeu des dictatures communistes, et des dictatures communistes au motif que ça ferait le jeu des dictatures d’extrême-droite. Ce n’est donc pas aujourd’hui que je vais me laisser intimider par les nouveaux censeurs au motif que je ferais le jeu des anciens. Je n’en tire aucune gloire car je ne prends aucun risque. Je suis un inconnu médiatique et Bananas est si petit qu’il n’a même pas besoin d’un numéro de commission paritaire pour survivre. Aujourd’hui, en ce qui concerne la vente par correspondance, le n°17 est affranchi à 7,60 euros (pour un prix de vente de 12 euros plus 3 euros de participation de port demandée, minimum fixé par la loi). Et à partir du 1er juillet, les tarifs hors France seront bien au-delà. Certes, le déficit va flamber mais, en valeur absolue, il restera un petit déficit, financé sans difficulté. « Too big to fail » dit un dicton en matière financière. Mais il en existe un autre : « Small is beautifull ».