Il n’y aura pas de Festival International de la Bande Dessinée à Angoulême en janvier, pas plus que de Formula Bula à Paris en octobre.  La Préfecture de Paris a interdit la  manifestation, ce que regrettent les organisateurs dans un communiqué. « Frustration immense, gâchis incroyable, tristesse infinie, colère noire, fou rire incontrôlable, et gueule de bois interminable telle est l’équation à plusieurs inconnues de Forumula cette année ».

Dans ces conditions, la tenue du prochain SoBD prévue du 4 au 6 décembre prochain risque d’être compromise, même si, fin septembre, Renaud Chavanne m’informait encore vouloir la maintenir. A suivre de près sur https://sobd2020.com/

Exposition Mafalda à Angoulême en 2014

L’Argentin Quino, né en 1932, est mort le 30 septembre. En 2014, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême avait fêté les 50 ans de Mafalda. Mais il est regrettable que son créateur n’ait pas été honoré du Grand Prix de la ville d’Angoulême, à cause de la qualité de sa célèbre série traduite dans de très nombreux pays, et parfois considérée, non sans raison, comme une version marxiste des Peanuts. S’il considérait Charles Schultz comme un maître, Quino ne manquait pas de pointer des différences. Ainsi, déclarait-il à Frédéric Potet en 2014, pour le journal Le Monde : «  Il faut faire cependant une distinction entre ces deux séries : Charlie Brown est nord-américain alors que Mafalda est sud-américaine. Charlie Brown vit dans un pays prospère et une société opulente dans laquelle il tente désespérément de s’intégrer à la recherche du bonheur. Mafalda, elle, vit dans un pays frappé de nombreux contrastes sociaux et, bien qu’elle recherche le bonheur elle aussi, elle refuse toutes les propositions qui lui sont faites.

Charlie Brown vit également dans un monde infantile qui lui est propre, dont sont rigoureusement exclues les grandes personnes. Mafalada, elle, entretient un dialogue permanent avec le monde des adultes – monde qu’elle n’estime pas, qu’elle ne respecte pas, qu’elle déteste, qu’elle méprise et qu’elle rejette tout en revendiquant son droit à rester une enfant qui ne veut pas prendre en charge l’univers corrompu des parents. »

Curieusement, comme pour les Peanuts, Mafalda a fait l’objet en France d’albums couleur destinés à la jeunesse après une publication dans France-Soir, à destination d’un lectorat principalement adulte, ce que tout le monde semble, une fois de plus, avoir oublié.

Le 23 septembre, plusieurs médias appartenant à des sensibilités très différentes ont publié une lettre ouverte dont l’intérêt est de s’adresser à l’ensemble des citoyens : Ensemble, défendons la liberté.

La voici reproduite :

Il n’est jamais arrivé que des médias, qui défendent souvent des points de vue divergents et dont le manifeste n’est pas la forme usuelle d’expression, décident ensemble de s’adresser à leurs publics et à leurs concitoyens d’une manière aussi solennelle.

Si nous le faisons, c’est parce qu’il nous a paru crucial de vous alerter au sujet d’une des valeurs les plus fondamentales de notre démocratie : votre liberté d’expression.

Aujourd’hui, en 2020, certains d’entre vous sont menacés de mort sur les réseaux sociaux quand ils exposent des opinions singulières. Des médias sont ouvertement désignés comme cibles par des organisations terroristes internationales. Des États exercent des pressions sur des journalistes français « coupables » d’avoir publié des articles critiques.

La violence des mots s’est peu à peu transformée en violence physique.

Ces cinq dernières années, des femmes et des hommes de notre pays ont été assassinés par des fanatiques, en raison de leurs origines ou de leurs opinions. Des journalistes et des dessinateurs ont été exécutés pour qu’ils cessent à tout jamais d’écrire et de dessiner librement.

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi », proclame l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, intégrée à notre Constitution. Cet article est immédiatement complété par le suivant : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Pourtant, c’est tout l’édifice juridique élaboré pendant plus de deux siècles pour protéger votre liberté d’expression qui est attaqué, comme jamais depuis soixante-quinze ans. Et cette fois par des idéologies totalitaires nouvelles, prétendant parfois s’inspirer de textes religieux.

Bien sûr, nous attendons des pouvoirs publics qu’ils déploient les moyens policiers nécessaires pour assurer la défense de ces libertés et qu’ils condamnent fermement les États qui violent les traités garants de vos droits. Mais nous redoutons que la crainte légitime de la mort n’étende son emprise et n’étouffe inexorablement les derniers esprits libres.

Que restera-t-il alors de ce dont les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 avaient rêvé ? Ces libertés nous sont tellement naturelles qu’il nous arrive d’oublier le privilège et le confort qu’elles constituent pour chacun d’entre nous. Elles sont comme l’air que l’on respire, et cet air se raréfie. Pour être dignes de nos ancêtres qui les ont arrachées et de ce qu’ils nous ont transmis, nous devons prendre la résolution de ne plus rien céder à ces idéologies mortifères.

Les lois de notre pays offrent à chacun d’entre vous un cadre qui vous autorise à parler, écrire et dessiner comme dans peu d’autres endroits dans le monde. Il n’appartient qu’à vous de vous en emparer. Oui, vous avez le droit d’exprimer vos opinions et de critiquer celles des autres, qu’elles soient politiques, philosophiques ou religieuses, pourvu que cela reste dans les limites fixées par la loi. Rappelons ici, en solidarité avec Charlie Hebdo, qui a payé sa liberté du sang de ses collaborateurs, qu’en France le délit de blasphème n’existe pas. Certains d’entre nous sont croyants et peuvent naturellement être choqués par le blasphème. Pour autant, ils s’associent sans réserve à notre démarche. Parce qu’en défendant la liberté de blasphémer, ce n’est pas le blasphème que nous défendons mais la liberté.

Nous avons besoin de vous. De votre mobilisation. Du rempart de vos consciences. Il faut que les ennemis de la liberté comprennent que nous sommes tous ensemble leurs adversaires résolus, quelles que soient par ailleurs nos différences d’opinions ou de croyances. Citoyens, élus locaux, responsables politiques, journalistes, militants de tous les partis et de toutes les associations, plus que jamais dans cette époque incertaine, nous devons réunir nos forces pour chasser la peur et faire triompher notre amour indestructible de la Liberté. •

#DéfendonsLaLiberté

SIGNATAIRES :

20 Minutes, Actu.fr, Alliance de la presse d’information générale, Alternatives Economiques, Arte France, BFMTV, Canal+, Causeur, CB News, Centre presse, Challenges, Charlie Hebdo, Cnews, Courrier International, Elle, Europe1, France Médias Monde, France Télévisions, Gala, GQ, Konbini News, L’Alsace, L’Angérien Libre, L’Avenir de l’Artois, L’Echo de l’Ouest, L’Echo de la Lys, L’Equipe, L’Essor Savoyard, L’Est-Eclair, L’Est républicain, L’Express, L’Hebdo de Charente-Maritime, L’Humanité, L’Humanité Dimanche, L’indicateur des Flandres, L’informateur Corse nouvelle, L’Obs, L’Opinion, L’Union, La Charente Libre, La Croix, La Dépêche du Midi, La Marseillaise, La Nouvelle République, La Renaissance du Loir-et-Cher, La Renaissance Lochoise, La Savoie, La Semaine dans le Boulonnais, La Tribune, La Tribune Républicaine, La Vie, La Vie Corrézienne, La Voix du Nord, Le Bien public, Le Canard Enchaîné, Le Courrier français, Le Courrier de Gironde, Le Courrier de Guadeloupe, Le Courrier de l’Ouest, Le Courrier Picard, Le Dauphiné libéré, Le Figaro, Le Figaro Magazine, Le HuffPost, Le Journal d’Ici, Le Journal des Flandres, Le Journal du Dimanche, Le Journal du Médoc, Le Journal de Montreuil, Le Journal de Saône-et-Loire, Le Maine Libre, Le Messager, Le Monde, Le Parisien / Aujourd’hui en France, Le Parisien Week-end, Le Pays Gessien, Le Pèlerin, Le Phare Dunkerquois, Le Point, Le Progrès, Le Républicain Lorrain, Le Réveil de Berck, Le Semeur hebdo, Le Télégramme, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Les Echos, Les Echos du Touquet, Les Inrockuptibles, LCI, Libération, Libération Champagne, M6, Madame Figaro, Marianne, Marie Claire, Mediapart, Midi Libre, Monaco Matin, Nice Matin, Nord Eclair, Nord Littoral, NRJ Group, Ouest France, Paris Match, Paris Normandie, Play Bac Presse, Presse Océan, Radio Classique, Radio France, RMC, RTL, Society, Stratégies, Sud Ouest, Sud Radio, Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine, TF1, Télérama, Valeurs actuelles, Vanity Fair, Var Matin, Vosges Matin.

Il faut espérer que, dans quelques années, ceux qui liront ce texte le trouveront idiot, en se demandant qui pouvait donc être contre la liberté d’expression. Malheureusement, ils sont de plus en plus nombreux et, comme toujours, avec les meilleures raisons du monde. Cette liberté d’expression est en effet de plus en plus mise en danger, et pas seulement du fait d’une poignée d’abrutis utilisant des armes de guerre. Ce qui rend aujourd’hui la censure plus dangereuse que jamais vient du fait que même les groupuscules les plus ultra-minoritaires peuvent disposer d’un pouvoir d’influence et de nuisance totalement disproportionné, au point de terrifier les directions des journaux, du  New York Times à L’Humanité, qui en viennent à   désavouer leurs propres dessinateurs de presse. Face aux menaces des fanatiques religieux et des adeptes du politiquement correct et de la cancel culture, il importe de résister. 

Concernant le passé, lire l’article de Bernard Joubert dans le n°8 de Bananas : Hara-Kiri et le premier Charlie Hebdo à travers 30 années de procès et d’interdictions.

Jean-Yves Mollier, Didier Pasamonik, Christophe Bigot

Concernant le présent, voir et écouter le débat organisé par le site actuabd, animé par Didier Pasamonik, avec l’historien Jean-Yves Mollier et l’avocat Christophe Bigot : Censure légale ou censure morale ?

Le lien se trouve à l’intérieur de l’article de Didier Pasamonik que je vous incite à lire par la même occasion.

https://www.actuabd.com/Phylactere-Les-debats-d-ActuaBD-1-censure-legale-ou-censure-morale